|
Revue du Rhumatisme 71 (2004) 196 –202Traitement de l’hyperparathyroïdie primitive : vers une chirurgie moins invasiveManagement of primary hyperthyroidism: toward minimal access surgeryDavid Malinvaud a,*, Gaël Potard a, Cyrille Fortun a, Alain Saraux b, Joseph André Jézéquel a, Rémi Marianowski a a Service d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie de la face et du cou, hôpital Morvan, CHU Brest, 5, avenue Foch, 29609 Brest cedex, France RésuméIl y a encore 15 ans, il était inconcevable de ne pas effectuer une exploration cervicale bilatérale lors d’une chirurgie parathyroïdienne. De
nombreux progrès ont fait évoluer ce dogme, permettant à la chirurgie de l’adénome parathyroïdien de devenir moins invasive. La fiabilité
croissante des techniques de dépistage pré-opératoire, avec l’avènement de la scintigraphie hautement sensible au Sestamibi double phase, les
dosages de parathormone (PTH) pré- et peropératoires pour confirmer le retour à la normale du taux de PTH après exérèse des glandes
parathyroïdes anormales, ont été les principaux facteurs de cette évolution. La gamma caméra miniaturisée ou l’endoscopie cervicale ont été
également proposées pour tendre vers une chirurgie ciblée. Ces nouvelles techniques autorisent des explorations unilatérales, des incisions
plus petites, des durées opératoires diminuées, voire des anesthésies locales. Le but de cet article est de montrer l’évolution de la prise en
charge de l’adénome parathyroïdien dès qu’une indication opératoire est retenue. AbstractFifteen years ago, it was still unbelievable for most parathyroid surgeons not to perform a bilateral neck exploration in the treatment of
primary hyperparathyroidism. Since that time, many changes in techniques appear and allowed for less invasive surgery. The preoperative
examinations for the localization of parathyroid adenoma have improved recently, especially with the use of the high sensitive dual phase
Sestamibi scintigraphy. Intraoperative monitoring of parathyroid hormone with quick parathyroid hormone measurement to insure excision of
all hyperfunctioning tissue is being done more often in many centers. Both these new techniques and the addition of the use of hand-held
gamma probe, neck videoendoscopic techniques and others have allowed for unilateral neck exploration, short duration of surgery, smaller
incisions, and sometimes avoidance of general anesthetic. The goal of this article is to show the evolution in the approach of primary
hyperparathyroidism treatment, as soon as surgery is required. Mots clés : Glandes Parathyroïdes ; Scintigraphie ; Chirurgie La pathologie primitive parathyroïdienne, responsable de l’hypersécrétion inappropriée de parathormone (PTH), est représentée par quatre types de lésion glandulaire [1,2] : l’adénome isolé (87 % des cas), les hyperplasies (9 % des cas), les adénomes multiples (3%des cas), et les carcinomes (1%des cas). Il n’existe pas, à ce jour, de véritable traitement médical de l’hyperparathyroïdie (les bisphosphonates traitent l’hypercalcémie). Le traitement de cette pathologie est donc chirurgical, mais ne fait pas encore l’objet d’un consensus. L’attitude princeps consistant en une exploration cervicale bilatérale, avec identification des quatre glandes parathyroïdes et exérèse de la glande adénomateuse hypertrophiée est encore d’actualité [1]. Toutefois, grâce aux progrès de l’imagerie et par souci de réduire la morbidité, il est souvent question d’abord chirurgical ciblé, à minima. Nous n’aborderons pas ici la question de l’indication chirurgicale devant une hyperparathyroïdie, mais celle de sa prise en charge dès qu’une indication opératoire est retenue. 1. Position du problèmeL’hyperparathyroïdie primitive est une affection relativement fréquente dont l’incidence est de 2‰chez les femmes et de 0,5‰chez les hommes avec classiquement un sex-ratio de trois femmes pour un homme [3–7]. C’est la première cause d’hypercalcémie des sujets non hospitalisés. C’est la deuxième pathologie endocrinienne hypersécrétante. L’âge moyen des patients se situe autour de 61 ans. La majorité des formes est asymptomatique. Quand les signes cliniques sont exprimés, les manifestations osseuses dominent le tableau avec les lithiases rénales [4]. La sensibilisation des praticiens à cette pathologie a rendu son diagnostic plus précoce. Les formes d’hyperparathyroïdie asymptomatique et d’hyperparathyroïdie modérée (ou « mild HPT » des anglo-saxons), diagnostiquées fortuitement par la découverte d’une hypercalcémie ou sur de vagues troubles neuromusculaires ou psychiatriques, sont plus fréquentes qu’autrefois. Le diagnostic de l’hyperparathyroïdie primitive est biologique. Il repose essentiellement sur l’association d’une hypercalcémie et d’une augmentation de la concentration plasmatique de l’hormone parathyroïdienne (PTH intacte 1-84) [8] . Dès lors qu’une chirurgie est envisagée, différentes techniques d’imagerie ont pour but de localiser au mieux les glandes parathyroïdes pathologiques, et d’essayer de différencier une atteinte uniglandulaire, ou adénome, d’une atteinte multiglandulaire avant un geste chirurgical. 2. Localisation des atteintes parathyroïdiennesIl existe plusieurs moyens techniques invasifs et non invasifs, capables de les visualiser. 2.1. L’échographieC’est une méthode simple et peu coûteuse, elle est pratiquée de première intention pour réaliser un bilan anatomique complet de la loge thyroïdienne et des aires ganglionnaires cervicales. Sa sensibilité varie de 40 à 85 % selon les séries, sa spécificité, de 55 à 100 % [1,9–13]. Il s’agit d’une technique dépendant de l’opérateur, ce qui permet d’expliquer les variations de sensibilité et de spécificité [9–13]. Les techniques échographiques augmentent régulièrement leurs performances dans le dépistage, notamment par l’utilisation du doppler qui permet le repérage des pédicules vasculaires parathyroïdiens, surtout dans le cas d’adénomes dont la taille est parfois importante [14,15]. Le coût de cet examen est de 37,80 Euros. 2.2. La scintigraphie au Technétium99m Sestamibi double phaseSon principe repose sur la différence de cinétique d’élimination du produit entre la glande thyroïde et les glandes parathyroïdes. La réalisation de temps tardifs permet ainsi d’objectiver des lésions parathyroïdiennes initialement cachées par l’image thyroïdienne. Sa sensibilité et sa spécificité sont respectivement voisines de 85 et 98 % selon les études [3,4,6,16]. Les faux positifs sont exceptionnels [3,4]. Son coût est de 366,84 Euros. 2.3. La tomodensitométrie et l’imagerie par résonance magnétiqueLa tomodensitométrie et surtout l’imagerie par résonance magnétique ne sont utilisées que dans les localisations ectopiques probables, et avant les reprises chirurgicales pour récidive. De nombreux auteurs conseillent un dépistage préopératoire au moyen de deux techniques d’imagerie pour orienter au mieux le chirurgien, surtout dans l’éventualité d’une exploration chirurgicale unilatérale [9,10,12,17–20]. La scintigraphie est l’examen étalon du dépistage parathyroïdien. Sa fiabilité n’a cessé de croître, surtout depuis l’avènement de la scintigraphie double phase au Sestamibi Tc 99m. Quelques cas de faux négatifs persistent, essentiellement liés à la taille trop petite de certains adénomes, à leur localisation au contact de la thyroïde, ou à une pathologie thyroïdienne associée [9]. Couplée à la scintigraphie au Sestamibi, l’échographie accroît la fiabilité du bilan de localisation préopératoire [10,12], sans en augmenter le coût de manière importante. Enfin, nous avons constaté dans notre service (résultat non
publié) une corrélation statistique entre les tailles échographiques
3. Stratégie chirurgicaleDeux écoles s’affrontent : les partisans de l’exploration chirurgicale bilatérale systématique, et les défenseurs de la chirurgie parathyroïdienne à minima. 3.1. L’exploration bilatéraleIl s’agit d’identifier et même d’effectuer une biopsie de chacune des glandes parathyroïdiennes, afin d’identifier et de réséquer tout le tissu parathyroïdien pathologique et laisser en place les glandes normales [22]. Cette attitude résulte d’une réflexion historique sur l’incapacité du bilan préopératoire de distinguer sans erreur les patients porteurs d’adénome simple, des 15 % de patients présentant une hyperparathyroïdie par hyperplasie primaire ou par adénomes multiples ; la fiabilité des échographies, scintigraphies et des autres examens de diagnostic topographique était et reste assez variable d’un patient à un autre, et plus encore, d’un centre à un autre [1,20,21]. Les adeptes de cette opinion considèrent que le coût de ces examens de dépistage n’est pas justifié lors d’une première intervention [1,5], et qu’un chirurgien expérimenté traite cette pathologie avec succès dans 97 % des cas, même sans aucun examen de localisation pré-opératoire [1,4,9]. Ils réservent ces examens aux réinterventions chirurgicales après échec d’une première opération, en association avec une tomodensitométrie cervicomédiastinale ou une IRM pour diriger au mieux le chirurgien vers la ou les glandes anormales à enlever au sein d’un champ opératoire déjà exploré, et donc d’exploration plus difficile [5,21]. Par ailleurs, ils évoquent la difficulté d’identifier des hyperplasies lors d’une chirurgie unilatérale, du fait de la fréquente asymétrie de cette lésion, et ils s’opposent à la chirurgie unilatérale devant l’incidence de 2 à 5 % d’adénome multiple [1,5]. 3.2. L’exploration ciblée minimalisteC’est l’attitude que nous avons adoptée car 85 à 90 % des HPTP sont dues à un adénome unique, la prévalence des adénomes multiples semble être évaluée autour de 2 à 4 % [1,2,4,5,19], et la scintigraphie au Sestamibi est très sensible pour les adénomes uniques [5]. Cette attitude s’appuie sur les travaux de Russell [24] et Tibblin [25] qui montrent sur des échantillons respectifs de 90 et 272 patients, que l’exploration cervicale unilatérale ne conduit pas à un taux plus élevé d’hypercalcémie persistante que l’abord bilatéral. Un modèle mathématique a même été proposé par Duh [26] afin de déterminer le risque de laisser en place une tumeur parathyroïdienne du côté opposé lors d’une technique unilatérale. Le facteur limitant était la prévalence de l’adénome multiple. En prenant comme références une sensibilité de 90 % pour le bilan de dépistage pré-opératoire, une prévalence de 14 % pour les hyperplasies, une prévalence de 4 et 1 % respectivement pour les adénomes doubles et triples, de 1 % pour les carcinomes, les calculs concluaient que 69 % des patients pourraient bénéficier d’une technique unilatérale avec1%de risque de laisser un adénome en place du côté opposé. Le risque de cette chirurgie unilatérale réside dans la possibilité de laisser en place un adénome du côté inexploré, même si le pourcentage d’échec avec hypercalcémie persistante n’excède pas celui de la chirurgie bilatérale. À l’opposé de la technique bilatérale classique, l’attitude « unilatérale » que nous avons adoptée, nécessite la réalisation d’un bilan pré-opératoire de localisation systématique [27] parce que 5 à 10 % des adénomes parathyroïdiens échappent à une première cervicotomie exploratrice. D’autre part, il permet d’effectuer le choix du côté à opérer. Enfin, l’augmentation croissante de la fiabilité du bilan de localisation pré-opératoire [23] qui est aujourd’hui de l’ordre de 90 % permet de diminuer encore le pourcentage de conversion de technique unilatérale en technique bilatérale. D’autres méthodes viendront bientôt s’ajouter pour améliorer la sensibilité de ce bilan. En plus du bilan d’imagerie pré-opératoire, des techniques de détection peropératoire ne cessent d’apparaître, telles que les dosages peropératoires de PTH [4, 28–30] encore très onéreux (un kit coûte 565 Euros) et non faits en routine à Brest, ou encore l’utilisation d’une gamma caméra miniaturisée pendant l’intervention, afin de guider le geste chirurgical, comme le fait Norman [20]. Les dosages de PTH peropératoires reposent sur le dosage de PTH dans le sang prélevé directement dans la veine jugulaire, avant et 15 minutes après l’exérèse de l’adénome parathyroïdien supposé. Chez les patients dont l’adénome a été réséqué, le taux de PTH décroît d’au moins 50 %. Le délais d’obtention des résultats est d’environ 45 à 60 minutes pour les techniques conventionnelles et 15 minutes en moyenne pour les tests “ rapides ” [28,31] . Actuellement, ce test semble être utilisé essentiellement afin d’obtenir la certitude d’avoir guéri le patient en fin d’intervention [32] ; il permet toutefois d’éviter la vérification chirurgicale de la normalité de l’autre glande parathyroïde homolatérale [33] . La technique unilatérale diminue les risques pour le patient. L’anesthésie locale est rendue possible dans une grande majorité de cas [4,29,34]. Ce type d’anesthésie a pour principal avantage de diminuer la morbidité opératoire, autorisant alors une chirurgie chez des patients pour lesquels une anesthésie générale aurait été contre-indiquée. Avec une anesthésie locale, la durée d’hospitalisation peut être réduite et le retour à la vie active est accéléré [4,7]. Inconvénients principaux : la durée opératoire ne doit pas excéder une heure (temps d’action des produits injectés) et le patient doit pouvoir supporter le décubitus strict pendant le temps nécessaireà l’intervention. Bien sûr, si le confort peropératoire du patient est moindre lors d’une chirurgie sous anesthésie locale, il en va de même de celui du chirurgien. Enfin, le système de monitoring du nerf récurrent ne peut être utilisé puisqu’il est fixé sur la sonde d’intubation (il s’agit d’un système permettant de prévenir le chirurgien, au moyen d’un signal sonore, s’il stimule un des nerfs récurrents au cours de sa dissection, grâce à un capteur situé entre les cordes vocales sur la sonde d’intubation). Lors de l’abord unilatéral, la durée opératoire est plus courte [35,36] : en effet, dans le service, nous observons une diminution moyenne de 58 minutes entre l’exploration unilatérale et l’exploration bilatérale (résultat non publié), ce qui est retrouvé dans la littérature avec des diminutions de 45 minutes chez Song [37], de 54 minutes chez Gupta [3], et de 78 minutes chez Norman [23]. La durée d’anesthésie générale est elle aussi réduite d’autant [3]. L’abord unilatéral diminue la morbidité postopératoire [4,38], le risque hémorragique et donc de compression des voies aérodigestives supérieures par hématome ; il diminue le risque de lésions des nerfs récurrents, des glandes parathyroïdes normales, et il diminue la fréquence des complications métaboliques postopératoires (hypoparathyroïdie et hypocalcémie) [5]. Si une reprise chirurgicale est nécessaire, elle est plus facile pour le chirurgien, l’autre côté n’ayant pas été exploré [5]. Enfin, le coût global de l’abord unilatéral est moindre. En effet, la diminution de la durée d’intervention chirurgicale se traduit par une diminution du temps d’occupation du bloc opératoire, économie non négligeable [1]. De plus, la diminution du temps d’hospitalisation constatée dans une étude en cours dans notre service (4,2 jours pour l’exploration unilatérale contre 6,7 jours pour la bilatérale), permet une économie moyenne de deux jours de forfait hospitalier par patient qui a bénéficié d’une chirurgie unilatérale, soit 711,46 Q × 2 =1422,92 Euros par patient, ce qui compense largement le surcoût initial de 404,64 Euros par patient occasionné par le bilan de dépistage pré-opératoire systématique. Cette économie est retrouvée dans de nombreux autres centres [4,23,36]. D’autres désagréments sont aussi diminués par l’abord unilatéral. Le préjudice esthétique est moindre, avec des incisions cutanées plus petites [5,23], les douleurs postchirurgicales durent moins longtemps et le retour à la vie active normale est plus rapide, surtout si le geste opératoire a pu être effectué sous anesthésie locale [4,7]. Certaines équipes proposent même un geste chirurgical sous endoscopie dans les formes simples (celles dont le bilan d’imagerie préopératoire suggère un adénome unique, et sans goitre thyroïdien) afin de réduire encore plus la rançon cicatricielle et les algies postopératoires, tout en conservant un taux de guérison de 100 % [7]. Dans cette attitude thérapeutique, deux schémas apparaissent selon les résultats du bilan de localisation pré-opératoire :
Bien entendu, les formes d’hyperparathyroïdies familiales et les poly-endocrinopathies, quelque soit le résultat du bilan de localisation, font partie de ces formes complexes dans lesquelles les deux côtés sont systématiquement explorés par le chirurgien [39]. Quelle que soit la forme, simple ou complexe, cette chirurgie nécessite une connaissance parfaite de l’aire de recherche des glandes parathyroïdes en position normale ou ectopique par le chirurgien (Fig. 1) [40,41,42]. Cette stratégie chirurgicale nous apparaît aujourd’hui plus adaptée, puisqu’elle autorise dans de nombreux cas une exploration cervicale unilatérale—de plus en plus souvent sous anesthésie locale—, préservant l’autre côté d’une exploration chirurgicale inutile.
4. ConclusionLa traditionnelle exploration cervicale bilatérale est encore d’actualité dans la chirurgie des hyperparathyroïdies familiales ou des hyperparathyroïdies secondaires. Pour les patients porteurs d’adénomes solitaires, de nombreux travaux s’accordent pour promouvoir l’abord cervical unilatéral, arguant d’une efficacité identique à celle de l’abord bilatéral systématique avec moins de complications. Sa légitimité et son développement ne dépendent que de l’augmentation croissante de la sensibilité du bilan de dépistage pré- et peropératoire avec l’avènement de la scintigraphie au Sestamibi double phase. En s’appuyant sur les données de la littérature [5,40,43], un schéma stratégique chirurgical peut être proposé, permettant, lorsque le bilan d’imagerie préopératoire montre un adénome unique, de réaliser une chirurgie unilatérale à moindre risque (Tableau 2). Toutefois, il est important de rappeler que cette attitude chirurgicale nécessite la collaboration d’un médecin anatomopathologiste entraîné à l’analyse extemporanée des glandes parathyroïdes, la collaboration de spécialistes de médecine nucléaire et échographistes rompus à l’exploration de ces glandes, avec un matériel performant, et bien entendu, la parfaite connaissance de cette pathologie par le chirurgien.
Références[1] Greene AK, Mowschenson P. Is Sestamibi-guided parathyroidectomy
really cost effective? Surgery 1999;126:1036–41.
|
|